Je filai à toute allure devant les truffes de Cerbère, qui avait l'air beaucoup moins intimidant lorsqu'il remuait la queue, content de me voir rentrer à la maison. Cette fois-ci, je n'avais ni le temps, ni l'envie de lui jeter le fémur d'un géant pour qu'il me le ramène. J'avais les sourcils froncés et une colère noire bouillonnait en moi, plus ardente que les feux des Enfers eux-mêmes ! Si j'étais sortie me promener sur l'Olympe contre l'avis de mon père -qui détestait naturellement tous ceux qui y vivaient, c'est parce que j'avais pour dessein de cueillir quelques fleurs. Mais comme je m'y attendais, elles avaient fané à l'instant même où je les avais prises dans mes mains.
Je passai au dessus du Styx en saluant Charon et partis me réfugier au palais, soit à l'autre bout des Enfers. Je n'avais qu'une hâte: pouvoir m'enfermer dans ma chambre et y démolir tout ce qui passait sous ma main pour calmer mes nerfs. Bougies, pierres sacrées, vitraux, tout y passerait !
Je traversai à la manière d'un spectre le mur qui entourait le sombre château, construit par des cyclopes dans le but de ne laisser passer que ceux que le Roi des Enfers désirait et jusqu'ici très efficace. Je poussai les deux grandes portes de la demeure en grognant avant de m'engager dans la salle du trône.

- Melinoe !

Je me pétrifiai sur place, à cet instant, j'aurais voulu que mes pouvoirs puissent fonctionner sur moi afin de ne pas avoir à subir la colère divine de mon père. J'atterris doucement au sol, observant le roi des Enfers sortir de l'ombre, aussi majestueux que terrifiant. La colère de Zeus était celle dont on parlait le plus, mais celle d'Hadès était mille fois pire, et je savais de quoi je parlais.

- Ne t'avais-je pas interdit de te rendre sur Olympe ?! C'était le cas, mais tu n'en fais toujours qu'à ta tête, si ça continue, je ferai en sorte que tu ne sois plus en mesure de traverser les murs de l'enceinte du palais ! tonna-t'il, rouge de colère.

Mes cheveux se dressèrent sur ma tête tandis que mes pieds décollaient du sol, je fulminais et la colère avait tendance à déclencher mes pouvoirs.

- J'étais allée cueillir des fleurs qui sont mortes dès que je les ai touchées, comme tous les humains que je frôle ! Si tu me permettais de me débarrasser de ces pouvoirs, nous n'en serions pas là, je pourrais sortir sans risquer d'attiser encore la haine des autres dieux à ton égard ! Haine dont je ne suis à l'origine pas responsable, Père !

Mon visage était au niveau du sien, si bien que le maître des Enfers était sûrement en mesure de sentir mon haleine bouillante sur son front, mes cheveux blancs ondulaient dans l'air, chargés de colère.

- Ne. Me. Parle. Pas. Sur. Ce. Ton. Jeune fille. articula t'il lentement, tes pouvoirs sont un don que je ne vais sûrement pas te retirer, mais j'ai trouvé quelqu'un qui aura la patience de t'apprendre à les contrôler.

- J'imagine que ce n'est pas toi, sifflai-je, la mâchoire serrée.

Comme pour répondre à ce que je venais de dire, une silhouette drapée de noir sortit de l'ombre -décidément- et s'approcha de moi. Je savais très bien qui était ce dieu, aussi connu des humains que des habitants de l'Olympe, la fin de tout, l'ange de la mort, Thanatos. Je le toisai du regard et reposai les pieds au sol, très peu optimiste vis à vis de ce qui allait suivre.

Les paroles de Thanatos étaient aussi inutiles que son âme était sombre, seulement prononcées dans le but de se faire remarquer par mon père. Père qui s'éloignait sans prendre en compte les bavardages de l'ange de la mort.

- Le "seigneur" Hadès... répétai-je en appuyant bien sur chaque mot, trop de respect pour un dieu qui préférerait régnait sur n'importe quoi d'autre que le royaume des morts, trop d'importance donnée à un homme qui n'a pas choisit d'être ici. Je ne l'ai pas choisit non plus, certes, mais je ne suis pas hypocrite.

Les mots s'étaient lentement glissés entre mes dents comme les sifflements d'un serpent. J'avais la rage au ventre et devenais incapable de contenir la magie destructrice qui soulevait quelques mèches de cheveux blancs.
Je penchai un peu la tête sur le côté en haussant un sourcil dans une mimique complètement insolente.

- Et comment ce cher serviteur d'Hadès compte t'il s'y prendre pour que j'arrête de tuer ? Quelles sont ses idées pour que les humains ne s'écroulent pas sous le toucher mortel de mes mains ? j'appuyai mon index sur le front du dieu et voletai jusque derrière lui pour faire glisser mes mains sur ses épaules en chuchotant au creux de son oreille: Ses solutions pour que les dieux ne s'immobilisent pas quand mes doigts courent le long de leur dos ? Une chance pour lui qu'il soit une divinité chtonienne...

Le monde entier croyait savoir ce qui était bon pour moi sans même me connaître réellement, ils défendaient tous leurs idées comme si c'était un jeu. Mais j'en avais assez d'attendre de voir qui allait gagner. Et Thanatos... Oh, Thanatos était encore pire qu'eux, il n'avait pas d'avis, il ne faisait que suivre l'avis de mon père comme un chien ailé obéissant, même Cerbère était plus autonome.

- Je te méprise, assura la jeune déesse avec une franchise qui lui était propre. Ses yeux semblaient plus noirs que jamais, comme deux perles d'onyx dans lesquelles il était aisé de se perdre.